Il nous va toujours poursuivant...
Je me souviens maintenant, pourquoi mon coeur a fléchi.
Il semble que pour un instant le monde a cessé de tourner, car ma course s'est arrêtée et que sans
moi pour le mouvoir, l'univers entier n'est plus que fixité, paix et repos. Assise au bord de la plus
haute falaise, un talon sur le roc et l'autre sur le vide, cela me revient. Enfin.
Lorsque je recommencerai à marcher, je remettrai en route les rouages du cosmos, au premier de
mes pas, et ce sol que je croyais jusqu'alors immobile et serein, plus robuste que tout, défilera sous
ce qui aura longtemps été la vaine tentative de fuite de mes membres agités et inquiets de leur
destination. Mais je ne fuirai plus, je n'ai plus de raison de fuir. Quelle que soit la destination que je
choisirai, elle sera la bonne, elle sera la seule, car j'y résiderai. Ma destination se confondra avec
mon origine et jaillira par la piqûre de l'instant. Que je marche, dorme, meure, je serai toujours au même endroit.
Mais en ce moment, je réfléchis et je réalise, tout doucement, l'évidence.
Je me souviens maintenant pourquoi mon coeur a fléchi, parce que je me souviens de la toute
première fois où je me suis sentie chez moi, où rien ni personne n'aurait pu me convaincre, par la
voie de l'or ou par celle du fouet, que j'aurais dû être à une place autre que celle que j'occupais. Je
m'en souviens comme si c'était hier, car d'une certaine façon c'était hier aussi.
Cela s'est installé sans poésie, comme je m'étais installée, une nuit, dans un bus. L'Angleterre défilait
mieux dans ma tête que par les fenêtres embuées et glaciales contre lesquelles je posai un front
légèrement grisé, tiédi.
Mais la poésie doit vivre en moi, malgré moi, parce qu'il m'a suffi de planter deux écouteurs sur mes
oreilles pour donner à mon âme matière à se tordre -de plaisir, de surprise? non, plutôt de
soulagement, de bien-être.
"THIS, is Home".
Je l'ai pensé en Anglais, car je ne parlais et ne pensais qu'en Anglais à ce moment là.
J'ai cru que l'Angleterre où je me trouvais, que la nuit qui me berçait, que cette faible griserie qui
m'agitait, que cette mélodie arrosée de luth qui me charmait, que cette musique qui m'envoûtait, que
ces mots si justes qui me parlaient, que cette époque qui les réunissait tous les trois, j'ai cru que
toutes ces choses constituaient ce 'chez moi', mais j'ai eu tort.
Les rues poussiéreuses de Bombay au soleil de midi, baignées de musique électronique néo-futuriste,
m'auraient fait le même effet, si j'y avais rencontré cette voix là, cette âme là.
Il m'a fallu plus de deux ans pour réaliser, à force d'entendre ces mêmes vibrations, cette même voix
si souvent, à quel point cette torsion avait généré (ou décelé?) le Vrai. Il m'a fallu plus de deux ans
pour extraire cette vérité en faisant patiemment le tri parmi des ressentis confus et trop grands pour
être saisis au premier jet d'attention.
Où que mes pas puissent me porter maintenant, tant que mon coeur gardera l'empreinte de cette
voix, je saurai que j'ai un endroit que je peux appeler 'chez moi'.
Même si ce 'chez moi' me tient en exil, même si ça doit ne pas changer, mon coeur a fléchi et s'est
incliné, avec naturel et joie sereine, devant l'évidence:
SHE is my Home.
Image: Pulteney Bridge, Bath
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